Les Echos 16/03/2022

Au pied du mur, les Etats-Unis ont tombé le masque. Cette grande nation, qui se tint il y a 80 ans à la hauteur de sa force morale, qui se dit le rempart de la liberté et de la démocratie, cette grande nation, devant l’obstacle, a baissé la tête.

Nous, peuples d’Europe, avions cru en elle. Pendant la guerre froide, les armées américaines s’entraînaient chaque année à déployer rapidement depuis le sol américain des dizaines de milliers de soldats pour arrêter les forces soviétiques. Certes, le général de Gaulle avait vite compris que jamais Washington ne se sacrifierait pour Paris et qu’il fallait que la France disposât de l’arme ultime, mais nous pouvions compter sur un appui solide : l’Amérique était prête à sacrifier, sur notre sol, ses fils en masse pour ses valeurs.

Poutine n’a pas raté cette opportunité de « découplage »

Nous savons désormais, depuis le 9 mars 2022, que cela n’est plus et ne sera plus. Le soldat Ryan ne viendra plus jamais mourir sur nos plages.

Les faits ne laissent plus de place à l’ambiguïté. Devant les difficultés des forces ukrainiennes, Washington presse, dès la première semaine, les pays de l’Otan qui le peuvent à renforcer l’Ukraine de leurs MIG29 : les pilotes ukrainiens sont aptes à les utiliser contrairement aux avions occidentaux dont la maîtrise demanderait une longue « transformation » pour les pilotes. En compensation, proposent les Américains, les pays volontaires recevront des F16, plus modernes.

Ukraine : les premières leçons à tirer pour l’équipement militaire

L’Occident s’interroge sur les options aériennes russes

Poutine saisit aussitôt cette belle opportunité de découplage Europe/Etats-Unis : il déclare que tout pays dont les MIG décolleraient vers le ciel ukrainien deviendrait, de fait, belligérant. La menace est claire : celle d’une volée de missiles russes testés avec succès en Syrie. Le président polonais, volontaire pour donner des MIG, accepte de prendre le risque, mais pas seul : si, en donnant ses avions, il entre en guerre, alors l’Otan le doit aussi – donc les Etats-Unis. Il propose donc que ses MIG décollent non de Pologne mais de la base américaine de Ramstein en Allemagne, ce qui, de facto, ferait des Etats-Unis des cobelligérants.

En cas de conflit, l’Europe restera seule

Alors Washington – qui pourtant promet depuis des lustres aux Européens de l’Otan de se battre pour eux – recule . La duplicité américaine apparaît clairement : ces avions, déclarés utiles hier s’ils décollaient de Pologne, soudainement ne « changent plus significativement le rapport de force » s’ils décollent d’une base américaine ! Des paroles et des armes, oui ; des paroles et des actes, non.

Cette décision surprend à peine puisque, depuis le début, les autorités américaines – tournées vers la Chine et les mid-term – clament que jamais leurs soldats ne participeront à cette guerre. En réalité, elle clarifie la situation : dans cette crise existentielle, la plus grande depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est seule et le restera même si les troupes russes ne marquent pas le stop au panneau Otan.

Nous aurions dû le savoir ! Obama, conseillé par son vice-président Joe Biden, n’avait-il pas reculé en 2013 , au moment du franchissement de la ligne rouge par la Syrie ? Trump, clamant son « America First », n’avait-il pas abandonné les Kurdes, déclarant qu’il n’enverrait jamais un soldat mourir pour Podgorica et refusant explicitement de s’engager pour la défense collective ? Sans parler du lâchage brutal de l’Afghanistan…

Nous devons devenir le 2e pilier de l’Occident

Bien sûr, les Etats-Unis soutiennent l’Ukrain e, avec cette nouvelle aide de 14 milliards votée le 9 au soir comme pour faire oublier leur recul du matin. Ils ont livré 2.000 missiles Stinger et 17.000 missiles antichars. Ils continueront de lutter… « from behind », comme le disait Obama, même si quelques éléments de la 82e division aéroportée viennent d’être déployés en Pologne. Mais retenons à jamais la leçon : le sang versé, lui, sera le nôtre.

Préparons-nous, sans illusion sur le « parapluie » américain. Retrouvons vite notre autonomie de défense et notre souveraineté européenne. Soyons cet acteur géopolitique puissant et pacifique dont la paix du monde a besoin. Notre sécurité exige que nous devenions le deuxième pilier solide – et décisionnaire – de ce qu’on appelle « l’Occident ».

Vincent Desportes est général et ancien directeur de l’Ecole de guerre.